USA : Critique French Review

Le Décodeur est le premier roman de Guy Tournaye, ancien rédacteur en chef du magazine Multimédia Stratégies, aujourd’hui consultant spécialisé en cryptographie comme l’indique la notice en quatrième de couverture. Ne tournons pas autour du pot : pour un coup d’essai, ce roman plusieurs fois rejeté et que seul Philippe Sollers a accepté de publier dans sa collection L’infini est un coup de maître. Tournaye innove avec ce qui pourrait bien être le premier roman cybernétique interactif, même si l’auteur reprend des techniques utilisées avant lui par Jean-Jacques Schuhl, Patrick Bouvet voire Georges Perec (entre autres) : celles de l’échantillonnage et du collage d’autres textes issus aussi bien de la littérature que des sciences humaines, des média et d’Internet. Le tour de force de l’écrivain ici présent est qu’en cryptographe averti il a élaboré un roman composé en intégralité d’emprunts à d’autres œuvres. On en dénombre cent six (sans compter les articles) par des auteurs aussi variés que Baudrillard, Rousseau, Gracq, Perec, Schuhl ou Glissant, tous scrupuleusement cités à la fin (P 110-114) dans une section intitulée « Par ordre d’apparition à l’écran » que Tournaye justifie dans son « Générique » de la façon suivante : La plupart des textes contenus dans cet ouvrage, à commencer par la présente note, ont été publiés sous d’autres noms par d’autres éditeurs. Le plus souvent, ils ont été recopiés respectueusement, c’est-à-dire sans altérations, quoique sans vergogne, puisque le nom de l’auteur n’a jamais été cité. Mais il est aussi arrivé que le démarquage se double d’un détournement. (P 109) Le démarquage et le détournement sont bien à la base du projet de Tournaye dont le roman, avec ses énigmes, ses indices et ses thèses, pourra se lire et se relire selon les goûts : comme polar, autofiction, « actufiction » (terme de Frédéric Beigbeder), jeu de piste cybernétique, roman à clé, pamphlet théorique ou même comme guide destiné aux hommes et femmes d’affaires en voyage. Ainsi cette remarque concernant la compagnie aérienne Air France : « Comme souvent avec les Français, l’avion n’est pas très propre » (P 22). Au moins Tournaye passe sous silence les retards, grèves et attentes interminables aux enregistrements. Mais revenons à nos moutons !
Dès le début, l’auteur nous donne quelques éléments sur les grandes lignes de son « texte à double entrée – une sorte de stéréogramme » (P 17) : « Le présent roman ne prétend à aucune vérité. Il s’en tient aux faits sans chercher à les interpréter. Ce n’est qu’à ce prix, nous semble-t-il, que l’on peut aujourd’hui dire le réel ; en appréhender la complexité, l’étrangeté – la poésie ? » (P 18). C’est en partant de cette ligne directrice que Tournaye s’applique à constamment remettre en question la notion de réel, en redoublant les pistes, en jouant à fond sur la multiplicité des perspectives. Avant même d’essayer d’élucider les énigmes (tentative vouée à l’échec ?) de ce texte, les lecteurs pourront s’amuser à « décoder » les innombrables expressions et jeux de mots repris et parfois réarrangés par Tournaye dans son roman. Nous n’en donnerons qu’un bref aperçu ici qui, nous l’espérons, stimulera de la curiosité pour cette œuvre unique. Certains auront déjà connaissance de « la fameuse correspondance attribuée – à tort semble-t-il – à George Sand et Alfred de Musset » (P 74) qui dévoile ses secrets quand on la lit une ligne sur deux : Je suis très émue de vous dire que j’ai Bien compris, l’autre jour, que vous avez Toujours une envie folle de me faire Danser. Je garde le souvenir de votre Baiser […]. (P 74) Enfin, mentionnons également le paragraphe « Tranche de vie » consacré « à ce condamné à mort américain, Joseph-Paul Jernigan [à qui Le Décodeur est dédié], découpé en fines lamelles après son exécution, puis scanné sous toutes les coutures pour les besoins du programme Human Visible Project » (P 69). Alain-Philippe Durand, University of Rhode Island, The French Review, Mai 2007.

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