Interviews Matricule des Anges & Chronicart

Synthèse des interviews électroniques accordées à Lise Beninca, rédactrice à la revue Le Matricule des Anges et Cyril de Graeve, rédacteur en chef de Chronic'art.

Qu'y a-t-il de vrai dans les informations figurant sur vous en quatrième de couverture ?
Tout est exact : né à Tours le 4 juillet 1965 ; réside à Paris ; ancien rédacteur en chef du magazine Multimédia Stratégies, sauf la mention « consultant en cryptographie » inventée pour les besoins de l'histoire...
 
Peut-on en savoir plus sur votre parcours ?
Etudes de gestion (ESSEC). Emplois divers et variés : chargé de mission à la direction du développement de Canal +, puis au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ; journaliste dans la presse professionnelle spécialisée dans les nouveaux médias ; consultant dans différents cabinets de conseil en stratégie d’entreprise … Me consacre à temps plein à l’écriture depuis la parution du Décodeur.

D'où vous est venue l'idée de ce livre ? Et l'envie d'écrire ?
N’ai jamais rien écrit de « littéraire » avant la rédaction du Décodeur, et n’en avais jamais ressenti le besoin jusqu’à ce livre. A la base, le projet de ce « roman » est strictement autobiographique. Il s’agissait concrètement de me remémorer un certain nombre d’évènements marquants (au sens le plus littéral du mot) et de les combiner entre eux selon un processus de condensation et de déplacement semblable à celui qui caractérise le fonctionnement des rêves.
 
Comment revendiquez-vous les "plagiats" dont il est fait mention en fin d'ouvrage ?
Le travail de citation est motivé dans le chapitre Script (P 79, sq), à partir notamment des citations de JJ Schuhl (Telex N°1, cité pages 80 et 81). Lire également ce billet d'Eric Lint intitulé Au-delà du plagiat.
 
Comment avez-vous sélectionné tous ces "emprunts" ?
Les emprunts ne sont pas seulement livresques. Ils renvoient également à des sons (Faithfull, Bach…), à des images (le film Pandora…) et correspondent tous à des « marques déposées » dans une mémoire vive. Il s’agit en quelque sorte de particules, sélectionnées en fonction de leur charge électrique. Ces emprunts se combinent les uns aux autres comme dans un rêve, selon une logique interne, horizontale, qui ne procède nullement d’un rapport d’adhésion ou de filiation : les auteurs cités dans le générique ne sont pas nécessairement des références pour moi.
 
Peut-on parler de sampling littéraire (ou de TJ = text jockey) ?
Non. Le sampling littéraire relève à mes yeux d’un certain académisme branché, d’un maniérisme high-tech assez vain, que je dénonce dans le chapitre scénario (« Rien à voir avec la prose en kit, 100% contreplaquée, distillée par les " scripts DJ' en vogue "»). Le Décodeur revendique ouvertement sa facture classique, aussi bien dans sa forme (typographie Garamond, absence de tout artifice avant-gardiste de mise en page…) que sur le fond, comme cela est explicitement revendiqué dans le chapitre Réalisation : « Je n’ai que faire des « combinatoires réticulaires » et autres « agencements rhizomatiques » censés constituer notre « nouveau bain amniotique. » Je suis un primitif, un sauvage, un antique ! Mes références ? Etienne-Jules Marey plutôt que David Cronenberg, Jean Painlevé plutôt que David Lynch. »
 
Vous sentez-vous proche de cette génération d'écrivains qui utilise l'outil Internet pour créer (Eric Arlix, Chloé Delaume...) ?
J’apprécie beaucoup le travail de Chloé Delaume (notamment Les Mouflettes d'Atropos, Le Cri du sablier, Corpus Simsi), même si ma démarche reste très éloignée de l'autofiction. En ce qui concerne Eric Arlix, dont je n’ai lu que Le monde Jou, je ne partage pas son approche exclusivement critique, pointant "l’aliénation, la servitude volontaire, le cynisme pseudo-anticonformiste et les ersatz virtuels de la société de communication". Il me semble que l'enjeu aujourd'hui n'est pas tant de dénoncer "la farce atomisante en cours" que d'explorer les failles, les ouvertures, les nouvelles zones de liberté induites par ce "processus d'archipélisation". En fait, la principale convergence avec Arlix concerne notre intérêt commun pour les travaux des plasticiens de la collection Devautour, (notamment Maria Wutz, Pierre Ménard et Martin Tupper), cités à de multiples reprises dans Le Décodeur.

Que signifie pour vous le fait d'utiliser la forme du roman ?
Je renvoie dos à dos la posture qui consiste à réduire le roman au rôle de sous-produit audiovisuel (« L’écrivain de nos jours est-il condamné à n’être qu’un vulgaire fournisseur de scripts » ?) et celle qui l’envisage comme un acte de résistance face aux autres médias supposés nous aliéner. C’est pourquoi Le Décodeur emprunte résolument à toutes les formes d’écriture (scénaristiques, télévisuelles, journalistiques, multimédia et même publicitaires), mais sans jamais s’inscrire dans un rapport de mimétisme ou de critique frontale. Il s’agit plutôt d’opérer une sorte de passage à la limite et d’inventer une forme romanesque singulière, en faisant émerger une autre logique à partir de la juxtaposition de ces matériaux composites.
 
Pourquoi ce prétexte du réseau et du site, repaire de terroristes qui y publient des messages cryptés ?
Si Le Décodeur évoque la navigation à travers un site Web, c’est uniquement sur le mode métaphorique, pour créer un texte à travers lequel le lecteur peut naviguer d’un document à l’autre comme dans un rêve. Quant à la présence supposée de messages cryptés, il s’agit simplement d’un pied de nez aux thèses conspirationnistes qui fleurissent aujourd’hui un peu partout sous diverses formes (Matrix et Cie), et qui renvoient à une vision binaire du monde (d’un côté les aliénés, de l’autre un système totalitaire et manipulateur qui serait incarné, au choix, par le Spectacle, la Marchandise, le Capitalisme Phase IV, la Pub, le Libéralisme, l’Europe, etc).
 
"Street Hassle" : référence à Lou Reed ?
Oui. Mais puisque ce roman est placé sous le signe du miroitement, de la citation et du simple d’esprit (Le Mat au tarot), on peut aussi évoquer la reprise qu’en avaient faite les Simple Minds dans l’album Sparkle in the rain

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