« La situation est désespérée, mais elle n’est pas sérieuse. » Que faire ? Tricoter de jolies phrases sur le bon vieux temps (1) ? Sacrifier à la dépression ambiante sur le mode nihiliste-populiste (2) ? Jouer les prophètes des temps nouveaux à grand renfort de clichés high-tech et de références pseudo-scientifiques (3) ?
Repli nostalgique, catastrophisme, messianisme. Pour sortir de cette triple impasse, faisons une hypothèse : L'homme effacé « comme à la limite de la mer un visage de sable » (Foucault) ne laisse pas derrière lui un paysage de désolation, mais bien plutôt la promesse d’un réenchantement possible. Encore faut-il changer d’optique, renoncer aux chimères de la métaphysique, en finir avec les prestiges du naturalisme, et prendre le risque de l’exploration au lieu de se complaire dans la déploration.
Ecrire la réalité sans la représenter, figurer le corps sans le mettre en scène, appréhender la singularité sans recourir aux poncifs de la quête identitaire : telle est l’ambition du présent ouvrage. Loin des postures avant-gardistes ou expérimentales, on s'efforcera ici de renouer avec la tradition des Arts de la Mémoire, en proposant une navigation libre à travers des lieux et des images mentales, conçus comme autant de pièces à conviction.
Sous couvert d'enquête policière, les indices s'enchaînent, se déplacent, se condensent comme dans un rêve. Inutile de chercher un sens caché à cet entrelacs de signes et de traces. "Nous ne croyons pas que la vérité reste la vérité quand on lui enlève son voile" (Nietzsche). Le texte n'explique rien, ne perce aucun mystère. Il révèle en se faisant parure. Précipité de faits objectifs, réaliste dans ses moindres détails – rien n’a été inventé ; tout est exact, documenté, vérifiable -, Le Décodeur tient à la fois du jeu de pistes et de la fresque pariétale. A travers le réseau des empreintes et des inscriptions, un destin prend forme ; une présence, en apparence fantomatique, finit par s'incarner. Roman ? Non, péplum au sens le plus littéral du mot (4).
(1) Mention spéciale pour Ingrid Caven de J.J.Schuhl : « Une terrible mutation s’était faite en 20 ans, plus grande sans doute qu’entre le début du siècle et 1978, malgré deux guerres, le fascisme, le communisme, les camps, tous les films que l’on voudra, et tout le bataclan, parce qu’il s’était passé ceci, cette chose étrange : tout ça, on l’avait oublié, ça n’existait plus, une brutale amnésie, ça ne raccordait plus, comme après une apocalypse (...). »
(2) Dans ce registre, Houellebecq a fait beaucoup d’émules. « Je suis seul. Je ne suis rien. Je ne viens de nulle part. Je n’ai pas d’identité. Il a toujours été là, mon problème. J’ai toujours senti ce vide immense autour de moi, cet isolement. (…) Moi, je suis seul en pleine mer sur un radeau fragile, et ce radeau, c’est encore moi : je suis à la fois le naufragé perdu et le radeau à la dérive, désespérante tautologie, close sur elle-même. (…) La logique de ce processus voudrait que je devienne un assassin. » Eric Reinhardt, Le moral des ménages.
(3) ... « Afin de provoquer une nouvelle synthèse disjonctive, un nouveau surgissement métaphysique, et d’évoquer ainsi, par l’épopée du roman pop, ce qui adviendra de l’Homme quand en lui, et déjà en dehors, Son Successeur prendra forme » (sic)… M.G. Dantec, Théâtre des opérations, 4ème de couverture.
(4) peplon : tunique, vêtement de femme. Le lecteur désireux de savoir plus précisément « d’où ça parle » pourra se reporter au générique en fin d’ouvrage.
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