Revue Littéraire
Etude du Prof. Dr. Dietrich Scholler (Université de Mayence)
"Pour une littérature cyborg : l'hybridation médiatique du texte littéraire"
Anais Guillet évoque également Le Décodeur dans sa conférence “L'hybridation médiatique du livre: Du cyborg au robot littéraire”. Within Esthétiques numériques. Study Day hosted by Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. Montréal, Université du Québec à Montréal, 22 août 2011.
Le Décodeur, "roman étonnant et espiègle", figure également dans le catalogue de l'exposition Liber Numericus, présentée au Stereolux de Nantes du 10 juin au 3 juillet 2016 par les commissaires Anaïs Guilet, Soline Haudouin & Aurélie Tiffreau.
Critique parue dans le Matricule des Anges, N°65 (juillet 2005)
Mais pas question de tomber dans les trois tendances romanesques dominantes, définies comme suit : la tendance nostalgique, " qui considère le roman comme une valeur refuge face à la perte des repères traditionnels " ; la tendance clinique, à la Houellebecq, " qui prétend radiographier, sur le mode dépressivo-nihiliste, le processus de décomposition aujourd'hui à l'oeuvre " ; et la tendance prophétique, à la Dantec, " qui consiste à imaginer l'émergence d'une post-humanité sur les ruines de notre humanisme agonisant ". Ce triple refus accouche du Décodeur, roman à double entrée, " autobiographie sans je ", enquête policière sur fond de site Web. Plus concrètement ?
L'ouvrage se présente comme la transcription (exacte, documentée, vérifiable) du contenu d'un site internet consacré à une série américaine, Street Hassle. Cette série, inspirée de faits réels, raconte les démêlés judiciaires d'un mafioso répondant au nom de Franck-le-Mat, soupçonné d'avoir assassiné sa maîtresse. Making of, vidéos des scènes clés de la série et forum de discussion qui propose aux visiteurs de mener l'enquête de façon interactive sont retranscrits de la façon la plus littérale possible. Simple information préalable : ce site a été fermé sur injonction du FBI, qui y aurait détecté des messages codés de terroristes. Au lecteur alors de choisir sa grille de lecture, à voir s'il saura distinguer la machination derrière les messages anodins ou sibyllins. Quoi qu'il fasse, il sera embarqué dans une enquête sur les circonstances de la mort de Veronica Di Pistoia, recevra une leçon sur la symbolique du Mat carte vagabonde, arcane majeur du tarot ou se délectera d'un extrait de la sulfureuse correspondance attribuée à George Sand et Musset, codée elle aussi. Les indices s'enchaînent, mais qui cherche la clé de l'énigme restera sur sa faim, voire subira un retour à la case départ, car tout n'est ici qu'" un leurre destiné à piéger le spectateur avide de signification ".
Guy Tournaye nous mènerait-il en bateau ? Résolument, aux côtés du navigateur Lapérouse, dont Franck-le-Mat connaît la légende sur le bout des doigts... Encore une histoire dans l'histoire, encore un emprunt. Car la forme romanesque singulière inventée par Guy Tournaye cherche à faire émerger une nouvelle logique par la juxtaposition de matériaux composites. Ces matériaux s'avèrent être des fragments de textes piochés un peu partout (de Vigny à J.-J. Schuhl), dont il restituera les références en guise de générique final. Toute accusation future de plagiat est ainsi récusée, puisque la démarche se pose comme interne à l'ouvrage, sous couvert de la sentence de Montaigne : " Nous ne faisons que nous entregloser. " En répondant aux questions qu'on lui pose, il ne cesse d'ajouter : " je l'évoque page 87 " ; " voir la note page 78 ". Il s'entreglose lui-même et contrôle tout. " Procéder par prélèvements, détournements, abstractions successives, c'est se donner une chance d'échapper à la falsification générale. " En résulte un texte à multiples lectures, références entrecroisées, récits imbriqués, " tapisserie " aux motifs infinis. Guy Tournaye aime d'ailleurs à citer le Philippe Sollers de Vision à New York (depuis peu son éditeur) : " Je suis un tissage et une broderie vus d'ailleurs, écrits d'ailleurs. Me laisser écrire pour enfin ne pas être, telle est la forme ultime, et qui, par conséquent, ne peut ressembler à aucune autre, de ma liberté. " Le Décodeur est la broderie d'un homme cherchant à identifier les connexions implicites entre les éléments gravés dans sa " mémoire vive ". Il les combine entre eux " selon un processus de condensation et de déplacement semblable à celui des rêves ". Clin d'oeil à Rousseau, la divagation rêveuse se place au coeur de la composition. Si Guy Tournaye utilise le procédé d'une navigation à travers un site web, c'est pour créer, sur le mode métaphorique, un texte à travers lequel le lecteur puisse voguer d'un document à l'autre comme dans un rêve. Loin de lui l'idée de sombrer dans la cyber-branchitude, le " maniérisme high-tech " auxquels s'adonne une génération d'écrivains. Le roman reste " un moyen privilégié de penser, de manière incarnée, les mutations du monde actuel ". Un monde qu'il est encore possible de réenchanter. " Le présent "roman" ne prétend à aucune vérité. Il s'en tient aux faits, sans chercher à les interpréter. Ce n'est qu'à ce prix que l'on peut aujourd'hui dire le réel ; en appréhender la complexité, l'étrangeté la poésie ? , loin des mystificateurs qui se targuent de le "couvrir" pour mieux lui faire écran. "
Aux amateurs de camouflage, Le Décodeur révèle quelques astuces, dont celle de l'oeuf dur : grâce à une encre spéciale qui traverse la coquille pour se déposer sur la surface du blanc d'oeuf, il est possible d'y inscrire un message lisible seulement après épluchage. Un livre à éplucher, donc... ou à gober tout cru.
Note de lecture de Hugues Robert (librairie Charybde)
Au premier plan, une cabane en pierre sèche. L’édifice, de forme circulaire, est surmonté d’une voûte à encorbellement recouverte de lauzes. Chaque rangée de pierres est posée en saillie de la rangée sous-jacente. Les rangées composent des anneaux de plus en plus étroits, qui finissent par refermer la voûte. Aucune trace de mortier ou de ciment. Pas de charpente ni de clé de voûte. L’ensemble ne tient que par calage et insertion de pierres passantes. Vues de l’extérieur, les lauzes dessinent une surface conique irrégulière, sauf sur la partie basse, où un égout en pierre a été aménagé au sommet du mur porteur. Bâti à l’aide de moellons calcaires équarris, celui-ci débouche sur un regard percé à l’aplomb d’une citerne.
À l’arrière-plan, une crique sauvage. La caméra zoome sur un point noir au pied de la falaise. Un cadavre, revêtu d’une vareuse blanche, gît sur la plage de galets, à quelques mètres d’une embarcation échouée à marée basse. Le corps est recroquevillé, position à genoux, face contre terre, avec le bras droit tordu, dressé en l’air. Le visage, tourné vers la mer, est cyanosé, couvert de griffures, tuméfié comme celui d’un boxeur (lèvre fendue, blessures sur le nez…). En gros plan, des lésions très particulières se détachent au niveau du cou : d’abord une longue plaque parcheminée, de la pointe du menton jusqu’à l’angle de la mâchoire, puis une autre, de même aspect, étirée horizontalement de la pomme d’Adam à la partie droite du cou. »
Le Décodeur, un hypertexte de papier
Morceau choisi : "Ce petit livre d’à peine 114 pages contient en puissance toute la littérature, qu’il phagocyte et digère à sa façon." Voir plus large extrait disponible en commentaire.
En prime : une citation à l'ordre du mérite du généticien de la littérature Eric Lint et une allusion sympathique (comme l'encre) sur le blog érotique de Victoria Welby.
USA : Critique French Review
Italie : Revue Tendance-Présent
Francesca Lovece, membre du Groupe de Recherche sur l’Extrême Contemporain (Grec), évoque Le Décodeur dans Médiapolar, article paru dans la revue Tendance Présent (mars 2007) et principalement consacré à Villa Vortex de M.G. Dantec.
Extrait :
Dans Le Décodeur, G. Tournaye donne un aperçu des enjeux de l'opération artistique à l'age de l'Internet, le réseau qui comprend tous les médias :
[...] élever la science à la puissance du reve, en privilégiant l'apparence, les jeux de lumière et les caprices des formes [...] contraindre le spectateur - comme le reve contraint le reveur - au perpétuel glissement et à l'absence de toute certitude; dessiner un monde infini de relation et de réseaux, où chaque plan entre en correspondance toujours singulière et nouvelle avec un autre, sans jamais apporter l'assurance - la cloture - d'une signification ou d'un "c'est ceci" (P101 - 103).
Sur ce sujet, lire également l'article de Patrick Tillard publié en mai 2007 dans la revue Archée (section cybertheorie) Rites de passage et gardiens du seuil.
Narrative Negotiations : Information Structures in Literary Fiction
" The central argument of the book is that contemporary fiction continues an established pattern in the culture of modernity by simultaneously addressing, resisting and revitalising narrative structures through the incorporation of other modes of organising information. Focussing on the novel genre allows for a rigorous, in-depth study of this issue, enabling the narrative implications of structures such as the database, the hyperlink and the computer game to be placed in a wider historical context. The book thus deals with Goethe’s Wilhelm Meisters Wanderjahre (1829), Robert Musil’s Der Mann ohne Eigenschaften (1930-42), and Arno Schmidt’s Zettels Traum (1970) as well as a number of texts from the last two decades in English, German, Scandinavian, and French by Jan Kjærstad, Thomas Hettche, Botho Strauß, Reinhard Jirgl, Svend Åge Madsen, Günter Grass, David Mitchell, and Guy Tournaye."
Le chapitre complet consacré au Décodeur est disponible en ligne ici via Google Livres (à partir de la page 167).
Allemagne : Conférence à l'Université de Bochum
Extrait du Décodeur
" Voyez-vous, disait-il - mais sans doute ses propos n'étaient-ils pas de lui -, il est temps d'inventer un nouveau langage. Les mots que nous employons ne correspondent plus au monde. Lorsque les choses avaient encore leur intégrité, nous ne doutions pas que nos mots puissent les exprimer. Mais, petit à petit, ces choses se sont cassées, fragmentées, elles ont sombré dans le chaos. Et malgré cela nos mots sont restés les mêmes. Ils ne sont pas adaptés à la nouvelle réalité. Par conséquent, chaque fois que nous essayons de parler de ce que nous voyons, nous parlons à faux, nous déformons cela même que nous voulons représenter. Ce qui fait un gâchis terrible. C'est pourquoi seule me plaît maintenant une écriture anonyme, fragmentée. Ni centre, ni centres, ni histoire, ni personnages, ni sens vectoriel, flux impersonnel, multitudes d'éclats, évidé, criblé, atone, suspendu, miroir prismatique ne se fermant sur rien - pas d'univers de l'auteur -, multiplicité de traces aussitôt recouvertes : comment produire un tel langage, un langage qui ne sorte pas de la tête de quelqu'un (ni de sa plume) mais qui soit immanent, qui sourde du sol à la façon d'une momie exhumée ? "
Le Décodeur, P 79-80
Critique La Voix du Nord
« Ni centre, ni centres, ni histoire, ni personnages, ni sens vectoriel, flux impersonnel, multitudes d’éclats, évidé, criblé, atone, suspendu, miroir prismatique ne se fermant sur rien… » : il pourrait s’agir d’un site informatique, qu’un écran dévoile, qu’une manipulation recouvre.
Il s’agirait d’un site piraté, sous surveillance du FBI, un forum de tous les leurres, où tout est vrai jusqu’au crime feint. Un réseau terroriste tisse sur la Toile les liens de son impunité ; fluidité des informations, efficacité révélée des messages masqués.
Le livre avance comme la main sur le clavier : « Même dans l’écriture il faut se résoudre à n’arriver nulle part ». Les fonctions fonctionnent, tout est lisible. Page sur page, page lue, page vue, qui s’avance ? Un péril que la cybernétique engendre, codes commandés, secrets appliqués.
Les envois défilent. A déchiffrer. Tel : « La raison pour laquelle il y a si peu de mariages heureux est que les jeunes femmes passent leur temps à faire des filets, et non à faire des cages ». Tel : « Partout c’est la position qui donne la victoire, au guerrier comme à l’artiste ».
Cliquer, ouvrir, emprunt suivant, roman glissé, tapi. La nuit crépite. Ordres glacés. Gratuits. Arrêter. Recherche moteur des rêves. Encore ? « Lorsqu’on a quelque chose à dire, on ne saurait mieux le dire qu’à sa manière ; et lorsqu’on n’a rien à dire, celle-ci convient encore davantage ». Quelle histoire, alors ? Guy tournaye décode. Il enquête pour nous et cite ses sources. Là où tout n’est que formation, apparition, érudition, il se joue d’un brouillage évolutif. Le Décodeur, ou l’allégresse interrogeante.
Joseph Raguin
La Voix du Nord
17 juin 2005
Interviews Matricule des Anges & Chronicart
Qu'y a-t-il de vrai dans les informations figurant sur vous en quatrième de couverture ?
Etudes de gestion (ESSEC). Emplois divers et variés : chargé de mission à la direction du développement de Canal +, puis au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ; journaliste dans la presse professionnelle spécialisée dans les nouveaux médias ; consultant dans différents cabinets de conseil en stratégie d’entreprise … Me consacre à temps plein à l’écriture depuis la parution du Décodeur.
Que signifie pour vous le fait d'utiliser la forme du roman ?
Critique Site officiel de M-E. Nabe
Guy Tournaye s'amuse
Chez Gallimard, dans « l'Infini », vient de paraître un petit livre étrange et réussi d'un certain Guy Tournaye : Le Décodeur. Il s'agit d'un roman constitué presque exclusivement de collages de textes des autres. Vieux procédé piqué au Rose Poussière de Jean-Jacques Schuhl. Tournaye a en tout cas le mérite de citer ses sources, c'est le moins qu'on puisse dire ! A la fin de l'ouvrage, avant la liste des auteurs publiés dans cette collection de plus en plus en aberrante puisqu'elle va du pénible Daniel Accursi à l'infect Stéphane Zagdanski, Guy Tournaye donne la sienne qui est bien plus cohérente... Elle énumère sur cinq pages les livres et les auteurs (dans l'ordre de leur apparition) que Tournaye a « volés » pour fabriquer son histoire. Alain Zannini apparaît juste après Ingrid Caven du déjà nommé Jean-Jacques Schuhl. Ces quatre noms propres dont deux sont les titres des livres des deux autres sont à eux seuls une indication de la façon dont Tournaye les a intelligemment utilisés.
En effet p. 78, « l'auteur » a fait un amusant montage de citations : il a pris une phrase de Schuhl parlant de lui-même à la troisième personne sous le surnom de Charles dans son roman Ingrid Caven (Prix Goncourt 2000) et il a enchaîné, toujours à la troisième personne, sur le portrait que Nabe fait de Schuhl dans Alain Zannini (Non-Prix Goncourt 2002) en le comparant à Lazare... Double-fond qui aurait pu être triple si Tournaye avait su que Nabe a comparé Schuhl à Lazare pour des raisons bibliques bien sûr, mais aussi familiales car Lazare est le prénom de l'oncle de Schuhl, Lazare Godzhal, Marseillais de l'entourage de Lindenmeyer que le petit Zannini côtoya dans sa jeunesse (voir son Journal Intime), et qui vient de mourir il y a quelques semaines...
Critique Le Monde des Livres daté du 3 juin 2005
Premier roman réel aux allures cybernétiques, Le Décodeur tient tout autant du jeu de pistes que de la fresque pariétale et prend à rebours la plupart des conventions du genre.
Soit donc une série policière américaine, Street Hassle, qui met en scène les démêlés judiciaires d’un parrain de la Mafia accusé du meurtre de sa compagne. Soit son site Internet, qui fut très vite interdit par le FBI, au lendemain des attentats du 11-Septembre, puisqu’il aurait servi de canal de communication secrète à des membres d’un réseau terroriste. Voilà la base. Le canevas bien réel du Décodeur, qui peut désormais se lire de différentes manières. Soit en focalisant sur l’intrigue de la série policière, soit sur la machination qui s’y inscrit en filigrane. Soit comme un roman, soit comme le voyage en forme de rêverie d’un Jean-Jacques Rousseau qui aurait lu Télex no 1 de Jean-Jacques Schuhl.
Pour Guy Tournaye, cela tient autant du jeu de pistes que de la fresque pariétale qui prend à revers la plupart des conventions romanesques. Comment écrire et s’écrire aujourd’hui ? Comment écrire la réalité sans la représenter ? Appréhender la singularité sans recourir aux poncifs de la quête identitaire ? Comment sortir de la triple impasse – repli nostalgique, catastrophisme et messianisme, « ces tartes à la crème d’une partie de la littérature contemporaine » ? Au lieu de se complaire dans la déploration, Guy Tournaye a choisi de prendre le risque de l’exploration.
Au lieu de se mettre en scène ou d’inventer des personnages, il a choisi de procéder par prélèvements. Aussi, Le Décodeur est-il un tissu de sons – Street Hassle est tout autant un clin d’oeil à un poème de Vigny qu’au titre de Lou Reed repris par les Simple Minds – et de mots. De fragments de textes recopiés ou détournés. Ce travail de citation à l’oeuvre a pourtant failli lui valoir l’interdiction du livre relu par une armée d’avocats qui ont brandi – c’est leur métier – les termes de plagiat et de contrefaçon.